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Guy Béliveau a enseigné la philosophie au Cégep de Trois-Rivières de 1976 à 2013. Il a fait son mémoire de maîtrise en logique modale à l’Université McGill (1975) et sa thèse de doctorat sur la phénoménologie de Jean-Paul Sartre à l’Université de Montréal (1987). En 1996, aux éditions Bellarmin, il a fait paraître un ouvrage en morale intitulé L’éducation des désirs. Essai sur la défaillance de la volonté. Depuis un certain nombre d’années, il s’intéresse surtout aux langues anciennes et à la métaphysique, en particulier à celle d’Aristote. Libéré de la nécessité, la poésie, l’opéra, le dessin et la lecture des classiques occupent une place de choix dans ses loisirs studieux.

[NDLR : Notre collègue Guy Béliveau a réalisé une méta-étude sur les TICE.  Ayant pour objectif de se dégager des discours impressionnistes que l’on peut entendre de part et d’autre, il a analysé les études scientifiques sur le sujet.]


Projet de recherche
et de développement pédagogique

Impacts de l’usage des TICE
au collégial

Rapport final
présenté par

Guy Béliveau
Département de philosophie
Cégep de Trois-Rivières

20 juin 2011


1. Introduction

Dans le cadre d’un projet de recherche et de développement pédagogique, réalisé au cours de la session d’hiver 2011, le problème de l’impact des TICE au collégial a été examiné. Au début de la recherche, c’est l’existence démontrable ou non d’un lien causal entre l’usage des TICE par les enseignants et le taux de réussite des élèves qui a d’abord retenu l’attention.

Le chercheur de l’ARC, Christian Barrette, a produit depuis 2004 de nombreux articles très rigoureux sur ce lien : voilà pourquoi, dans le présent rapport, ses travaux occuperont une large part. Barrette lui-même en est venu à centrer son attention moins sur la construction d’un modèle de causalité que sur une redéfinition de la problématique axée sur la pédagogie. La question fondamentale devient celle-ci : quelles sont les conditions d’une intégration réussie des TICE ?

 

Quand la stratégie pédagogique de l’utilisateur des nouvelles technologies devient le point focal des efforts de réflexion, la méthode socioconstructiviste semble avoir la faveur chez de  nombreux chercheurs. D’ailleurs, le rapport se conclura sur ce qu’il est convenu d’appeler « la salle de classe au 21e siècle », nouveau développement pédagogique, d’inspiration socioconstructiviste, centré sur l’apprentissage actif et collaboratif (active learning), où des connaissances sont construites par chaque élève grâce à une participation dynamique aux travaux avec les pairs. Tout porte à croire que les prochaines orientations du MELS, à l’égard des collèges, pourraient aller dans cette direction.

 

2. Contexte de la question des TICE

Depuis plus d’une vingtaine d’années, les nouvelles technologies de l’information et de la communication pour l’éducation (TICE) ont été utilisées par le personnel enseignant dans les cégeps. Bien entendu, l’attrait de la nouveauté, conjugé avec un effet de mode, a pu jouer un rôle dans cet usage, mais tous – élèves, enseignants, conseillers pédagogiques, administrateurs – ont désormais l’intime conviction que les outils informatiques, non seulement sont là pour y rester, mais que, inévitablement, ils occuperont une place toujours plus grande dans les pratiques.

 

Considérant les sommes considérables qui ont déjà été investies et celles qui le seront dans l’avenir prochain, Dominique Forget (2005, p. 2) pose la question de fond : « Les investissements consentis par les gouvernements pour favoriser l’intégration des TIC dans l’enseignement ont-ils valu la peine ? Les nouveaux outils d’apprentissage encouragent-ils réellement la performance et la réussite des élèves ? Si oui, dans quelle mesure et dans quelles conditions ? »  L’argument du financement déjà accordé a souvent été repris pour justifier une recherche sur l’optimisation de l’usage des TICE : voir, par exemple, Barrette (2009c, p. 19) et Viau (2005, p. 3).

 

Pourquoi le questionnement sur les répercussions des TICE au collégial a-t-il d’abord porté sur les taux de réussite ? Desgent et Forcier, qui ont effectué une étude scientifique auprès d’élèves suivant le cours Initiation à la psychologie, fournissent la réponse : la Fédération des cégeps, à la suite d’un rapport du Conseil supérieur de l’éducation en 1999, a proposé « des cibles concernant le taux de réussite et de diplomation des élèves du réseau collégial. La poursuite de ces objectifs (cibles) a créé un climat propice à la recherche de moyens aptes à augmenter la persévérance et la réussite sans pour autant négliger la maîtrise de la compétence du cours » (Desgent et Forcier 2004, p. 1).

 

Dans un tel contexte, il devient aisément compréhensible que Christian Barrette, le principal chercheur sur les effets des TICE au collégial, ait concentré son attention sur un hypothétique lien causal entre l’utilisation des nouvelles technologies et la réussite des élèves. Étant donné que, dès 2004, se dégageait la conclusion que les expériences scientifiques et les méta-analyses, fondées sur des données quantitatives, n’établissaient pas une relation de cause à effet entre les TICE et la hausse des résultats scolaires, les recherches se sont reportées sur des métasynthèses, faisant appel à des données qualitatives, à partir desquelles il devenait possible de dégager les conditions d’une intégration réussie des TICE, la réussite comprenant bien d’autres aspects que seulement les seules notes au bulletin.

 

La problématique s’est donc précisée et raffinée au cours des sept dernières années : de la construction d’un modèle causal, on est passé à l’identification des facteurs d’une intégration efficace des TICE dans l’enseignement. Dit autrement, le problème des nouvelles technologies est devenu une question de stratégie pédagogique, ce qu’il a toujours été au fond dans les faits.

 

3. La synthèse des synthèses de Jean Loisier

Il convient d’entrer dans le vif du sujet en faisant d’abord référence au mémoire produit par le chercheur Jean Loisier, pour le Réseau d’enseignement francophone à distance du Canada, pour deux raisons : 1) ce document est fort récent (mars 2011) ; 2) cette recherche est exhaustive : Loisier (2011) se veut une synthèse des méta-analyses  et des métarecherches sur l’usage des TICE effectuées entre les années 1995 et 2010. La deuxième partie du document, Recherches sur les pratiques et les effets, comportent deux chapitres particulièrement intéressants : le chapitre 5 intitulé Impact des TIC sur la réussite : méta-analyses (pp. 57-71) et le chapitre 6 intitulé Impact des TIC sur la réussite au collégial et à l’université (pp. 72-80).

 

Voici l’une des principales conclusions du mémoire : « il ressort des recherches, études, analyses et discours de toutes sortes, qu’il ne faut pas chercher dans les technologies la recette de l’élévation du taux de réussite des apprenants. Les facteurs de réussite sont ailleurs : d’une part, dans la personnalité de l’apprenant et, d’autre part, dans l’art du pédagogue qui le guide et l’accompagne » (p. 105).

 

Cette affirmation se fonde sur un fait qui est tenu pour incontestable par un grand nombre de spécialistes : aucune recherche expérimentale effectuée selon la méthodologie scientifique propre aux sciences humaines n’établit de façon claire et précise un lien de causalité entre l’usage des TICE et une hausse du taux de réussite des élèves. Voici, par exemple, le constat qui se dégage d’une vaste méta-analyse, centrée donc sur des données quantitatives, effectuée aux États-Unis en 2010 pour le Center for Technology in Learning : dans les mots de Loisier « quelle que soit l’orientation des études sur l’apprentissage en ligne, recensées pour cette méta-analyse, celles-ci ne montrent pas d’effet significatif sur la réussite des étudiants » (p. 65).

 

Une autre méta-analyse, réalisée cette fois en France en 2009 pour l’Institut national de recherche pédagogique (INPR) aboutit à une conclusion qui va dans le même sens : « Essayer de cerner l’impact des TIC sur l’enseignement et l’apprentissage n’est pas facile. En effet, trois décennies de travaux sur le sujet, aussi bien en France qu’à l’étranger, font apparaître des résultats nuancés sur l’efficacité des TIC, voire même contradictoires dans certains cas, tant les contextes et les situations sont variées. De plus, les convictions et discours idéologiques brouillent parfois les pistes en matière d’objectivité » (Loisier 2011, p. 66-67)

 

La recherche de Desgent et Forcier (2004) donne un bon exemple de ce qu’il faut entendre par « résultats nuancés ». La question initiale était : « Est-ce que les TIC contribuent à la réussite et à la persévérance des élèves en sciences humaines ? » (p. 41). L’expérience, effectuée auprès de 1,729 élèves inscrits au cours Initiation à la psychologie, avec des étudiants en condition expérimentale et d’autres en condition de contrôle, aboutit au résultat suivant : « Nous avons vérifié le lien entre la fréquence d’utilisation des TIC et la note finale. Les résultats montrent qu’il n’y a pas de lien entre ces deux variables. » (p. 44) Cependant, l’usage des technologies n’est pas inutile. En effet, l’expérience a démontré de manière quantitative que « les TIC contribuent de façon significative à la réussite des filles qui ont été admises au niveau collégial avec les cotes d’admission les moins élevées » (p. 43).

 

Si l’on examine maintenant les métarecherches, fondées sur des données qualitatives, il semble que l’usage des TICE comporte, par certains côtés du moins, des effets positifs sur l’apprentissage. Ainsi, le rapport de l’Unesco, Les TIC et l’éducation dans le monde : tendances, enjeux, perspectives (2004), rédigé par W.J. Pelgrum et N. Law, fait le bilan d’un grand nombre de recherches sur le sujet. On y trouve l’observation suivante (telle que résumée par Loisier) : « il est difficile de cerner réellement les avantages et les inconvénients des TIC à partir de ces différents travaux. Cependant, on peut dire que les TIC semblent améliorer les connaissances, les aptitudes et les compétences transversales, en contribuant à la motivation, au plaisir d’apprendre et à l’estime de soi » (Loisier 2011, p. 67). Loisier ajoute : « certaines études qualitatives semblent  confirmer ce constat » et il donne des exemples d’améliorations des aptitudes individuelles que les nouvelles technologies permettent : « les aptitudes au travail en collaboration, les aptitudes à traiter des données, les compétences métacognitives » (id.). Dans la cinquième section du présent rapport, il sera question de l’importance de développer ces aptitudes.

 

Pour ce qui concerne le réseau collégial, Loisier fait état des principaux travaux, dont celui de Christian Barrette qui sera prise en compte dans la prochaine section. Il mentionne le projet de Caroline Quesnel du Collège Brébeuf et de son équipe qui consistait à offrir à des élèves à risque un accompagnement personnalisé grâce à des activités en ligne (courriels, clavardage, forums, etc.) L’hypothèse devant être testée était celle-ci : « nous postulons que l’utilisation des TIC dans le contexte d’accompagnement hors classe (à savoir une série d’échanges personnalisés et soutenus tout au long de la session) est une piste favorisant la motivation de l’étudiant et susceptible de soutenir la persévérance et la réussite scolaire » (Quesnel 2006, p. 1-2). À la fin de ce rapport, on trouve cet aveu significatif : « À ce jour, aucune étude n’a clairement démontré de lien direct entre l’utilisation des TIC et l’amélioration de la réussite scolaire. Comme on pouvait s’y attendre, la nôtre n’en identifie pas non plus, malgré les espoirs bien légitimes des chercheurs. » (p. 79) Cependant, la recherche montre clairement que le recours aux technologies dans l’encadrement des élèves a des effets positifs : « Du côté de la motivation, les résultats sont nettement plus encourageants. […] Le secteur où le comportement du groupe expérimental s’est le plus distingué du groupe témoin est la consultation des professeurs sur le mode présentiel et virtuel. Ce constat a son importance si l’on considère que les étudiants à risque négligent souvent le recours direct au professeur. » (p. 79)

 

D’ailleurs, Jean Loisier, en se fondant sur une enquête menée entre 2003 et 2005 auprès de 744 élèves par J. Roy et N. Mainguy (2005), fait une observation très pertinente sur la question des facteurs de réussite : « la relation professeur-étudiant joue un rôle important dans la réussite au collégial. La qualité du contact avec les professeurs est un prédicteur important de la réussite et de la persévérance scolaire » (Loisier 2011, p. 73).

 

On voit ici comment l’usage des TICE pourrait contribuer indirectement à une meilleure persévérance et par ricochet à une hausse du taux de réussite. En effet, les enseignants dans leur ensemble constatent qu’il y a une certaine réticence chez les étudiants, même les plus faibles, à venir rencontrer leurs professeurs pour recevoir des explications. Or, si les nouvelles technologies pouvaient contribuer à rendre plus constant le contact de l’enseignant avec ses élèves, il semble bien que s’ensuivraient des effets positifs sur les résultats scolaires. Il y a là à tout le moins une piste à explorer.

 

4. Les recherches de Christian Barrette

Il faut consacrer une section entière du rapport aux travaux de Christian Barrette, chargé de projet pour l’ARC, car, depuis 2004. Il a effectué la métarecherche la plus fouillée et la plus rigoureuse sur la question de l’impact des TICE au collégial. Il est fort instructif de s’attarder sur les transformations qu’a connues cette problématique dans les sept dernières années : il appert que le sujet des technologies informatiques dans l’éducation doit être centrée non pas tant sur les taux de réussite que sur les conditions de leur intégration réussie. La métarecherche de Barrette s’est déroulée en trois grandes étapes et elle se poursuit encore à ce jour.

 

a) Première étape : la construction d’un modèle de causalité

Le chercheur publie d’abord trois rapports (2004a, 2004b et 2005) qui forment une métasynthèse des recherches effectuées sur les impacts de l’usage des TICE sur l’apprentissage. D’entrée, en se basant sur une recension systématique des écrits sur le sujet, l’opinion qui fait désormais consensus est établie : « il ne semble pas y avoir de lien direct entre l’utilisation de telle ou telle technologie et tel ou tel effet sur l’enseignement ou l’apprentissage » (Barrette 2004a, p. 1).

 

Si, de façon plus précise, on tente de répondre à la question : « quels sont les impacts pédagogiques de l’utilisation des TIC », C. Barrette donne une réponse nuancée : « En majorité, les recherches empiriques concluent que ces impacts sont nuls alors qu’un nombre non négligeable de recherches soutiennent au contraire que les nouvelles technologies ont des effets bénéfiques. Il arrive aussi, quoique rarement, que l’on observe des effets négatifs. » (Barrette 2004a, p. 2) Ce point découle des résultats obtenus lors d’une vaste métasynthèse américaine effectuée en 2004 à partir de 704 rapports de recherche. Mais, il convient de préciser que la métasynthèse du Center for Applied Research in Educational Techmology (voir CARET 2005) a été soutenue financièrement par la Bill et Melinda Gates Foundation ! (Barrette 2004a, p. 2)

 

Étant donné que la question de départ aboutit à des conclusions différentes ou même contradictoires, « c’est sans doute qu’on se trouve devant un phénomène multidéterminé » (Barrette 2004a, p. 3). En bonne méthodologie de la recherche en sciences humaines, il a donc fallu préciser les dimensions des concepts dans l’énoncé de la question.

 

Par exemple : que faut-il entendre au juste par « utilisation des TIC » ? On sait que dans les faits les pratiques sont extrêmement variées, allant du simple envoi de courriels à l’utilisation d’exerciseurs, de sites Web ou de blogues.  Il faut par conséquent, dans une recherche sur l’impact des TICE, tenir compte du degré d’intensité de l’usage des nouvelles technologies. À la suite de ces considérations, et dès 2004, C. Barrette recommandait de reformuler la question : « le facteur à considérer n’est pas tant la technologie comme telle que l’intention pédagogique qu’elle permet de réaliser […]. Il ne s’agit donc pas réellement d’évaluer l’impact de l’utilisation des TIC, mais plutôt l’impact d’une stratégie pédagogique qui a recours à telle ou telle technologie adaptée à ses intentions » (Barrette 2004a, p. 5).

 

Toujours en 2004, le chercheur soutenait que la notion d’impact des TICE devait être précisée. Cet effet peut être défini en fonction des résultats scolaires, mais on peut aussi examiner comment l’usage de la technologie peut influer sur des opérations cognitives complexes, sur la résolution de problèmes, sur la motivation et la persévérance, etc.

 

À cause sans doute du contexte évoqué plus haut (deuxième section), la métarecherche de Christian Barrette visait initialement à construire un modèle établissant un lien causal entre TICE et réussite. Ce lien n’étant pas établi par des études fondées sur des données quantitatives, le chercheur s’est alors concentré sur les recherches qualitatives effectuées dans les cégeps depuis 1985. Mais il reconnaît que sa métasynthèse comporte des limites : la collection de monographies est réduite (32 recherches empiriques seulement si on inclut les travaux effectués entre 2004 et 2008) et le corpus est plutôt hétéroclite. Malgré tout, le chercheur de l’ARC a construit un modèle heuristique en se basant « sur ce qui pouvait être raisonnablement considéré comme une variable déterminante et une variable déterminée » (Barrette 2004b, p. 4). Pour le chercheur, demeure incontournable la question : « Peut-on établir un lien entre les niveaux d’intégration des TIC dans les pratiques pédagogiques et leur effet sur les résultats scolaires des élèves ? » La réponse est congruente avec celle qu’on trouve dans le rapport Loisier (2011) analysé plus haut : « On observe qu’une bonne part […] des études concluent à l’absence de différences dans les résultats scolaires, en particulier dans les cas d’intégration les plus faibles. » (Barrette 2004b, p. 12)

 

Considérant que le lien de causalité entre usage des TICE et réussite scolaire n’est pas établi et probablement indémontrable compte tenu de la multiplicité des facteurs en jeu, Barrette a tout de même dégagé 9 combinaisons de facteurs qui ont un pouvoir prédictif sur la question d’une intégration réussie, la notion de réussite dépassant cette fois le cadre étroit d’une hausse des résultats scolaires :

« Rappelons ces neuf énoncés qui établissent des liens probables entre déterminants et effets.

1) Résultats scolaires

Hypothèse 1- La présence d’une approche pédagogique axée sur la maîtrise ou, dans une moindre mesure, sur une approche socioconstructiviste, correspondant à une intégration des TIC au deuxième ou au troisième niveau, est associée à une amélioration des résultats scolaires.

Hypothèse 2- Une formation adéquate des usagers, combinée à des approches pédagogiques clairement définies, est associée à une amélioration des résultats scolaires.

Hypothèse 3- La présence d’un contexte pédagogique légèrement socioconstructiviste, mais enrichi par une autre approche pédagogique contribue à améliorer les résultats scolaires.

Hypothèse 4- Une approche pédagogique clairement définie mise en place dans un niveau d’intégration adapté est un facteur de hausse des résultats scolaires.

2) Intérêt et motivation

Hypothèse 5- Une approche pédagogique clairement axée sur la performance serait associée à une baisse de l’intérêt et de la motivation de la part des élèves.

3) Opérations cognitives élevées

Hypothèse 6- Les facteurs prépondérants d’émergence d’opérations cognitives complexes seraient à la fois une approche pédagogique axée sur la maîtrise ou de type socioconstructiviste, enracinée dans la formation en classe ou en laboratoire et se poursuivant dans des activités menées par les élèves hors classe.

Hypothèse 7- L’intégration des TIC au premier niveau uniquement coïnciderait le plus souvent avec l’absence d’opérations cognitives complexes.

Hypothèse 8- Une approche pédagogique confirmée appuyée par une condition d’équipement satisfaisante générerait des situations donnant lieu à l’observation d’opérations cognitives élevées.

4) Changements pédagogiques

Hypothèse 9- Une intégration des TIC qui dépasse le cadre de la salle de cours s’accompagne d’un changement pédagogique chez les professeurs. » (Barette 2005, p. 1)

 

Dans cette liste de combinaisons de facteurs, on remarque que l’accent porte sur les stratégies pédagogiques et que la méthode socioconstructiviste prend un certain relief (voir les hypothèses 1, 3 et 6). Il sera question de cette méthode plus bas dans la cinquième section du rapport.

 

Quelques années plus tard, Barrette apportera la précision suivante : « Parmi les approches [à savoir les pédagogies béhavioriste, constructiviste et socioconstructiviste], celle du socioconstructivisme émerge dans les discours pédagogiques, mais encore peu dans les pratiques. » (Barrette 2007, p. 4) Cette remarque prendra une grande importance plus dans la suite du présent rapport.

 

La métasynthèse de Barrette aboutit donc à un modèle de causalité pris au sens large d’un effort de réflexion, fondé sur des hypothèses vérifiables empiriquement. Les autres étapes de cette recherche dont il sera question feront ressortir tout l’intérêt de ce modèle pour les enseignants et les conseillers pédagogiques.

 

Si la question du taux de réussite demeure centrale, il ne faut cependant pas s’y limiter quand on cherche à déterminer l’impact des nouvelles technologies sur l’apprentissage : « Les résultats scolaires ne sont pas les seuls témoins de ces effets, car l’intérêt et la motivation des étudiants, leur capacité à faire des liens, à retenir à plus long terme ne se traduisent pas toujours par de meilleures notes, surtout quand les instruments d’évaluation restent traditionnels et ne prennent pas en compte tous les effets des stratégies pédagogiques novatrices mises en place grâce à l’utilisation des dispositifs à base de TIC. » (Barrette 2011a, p. 7)

 

Dans les années qui ont suivi la production de la métasynthèse de 2004, le chercheur a raffiné ce modèle et il vient tout juste de publier un tableau qui précise clairement les conditions d’une intégration réussie des TICE et les effets positifs sur l’apprentissage (Barrette 2011a, p. 7) :

1. Les effets positifs d’une intégration pédagogique efficace des TIC se déclinent en trois manifestations interreliées, soit :

a. une amélioration de résultats scolaires ;
b. une manifestation accrue d’opérations cognitives complexes comme la métacognition, le transfert et la généralisation ;
c. des signes de motivation et d’intérêt accrus chez les étudiants.

2. Le maximum d’effets positifs est obtenu quand on combine certains types de dispositifs avec certaines stratégies pédagogiques, soit :

a. des dispositifs d’apprentissage collaboratif, comme des environnements virtuels de formation, dans le cadre d’activités pédagogiques d’inspiration sociocontructiviste ;
b. des dispositifs favorisant la métacognition, comme des tutoriels, dans le cadre d’activités pédagogiques d’inspiration cognitiviste ;
c. des dispositifs adaptatifs et différenciés d’exercices répétés, comme des jeux éducatifs, dans le cadre d’activités pédagogiques d’inspiration béhavioriste.

3. Des conditions externes à la situation pédagogique comme telle ont une influence sur les effets recherchés, soit :

a. un équipement (matériel et logiciel) adéquat ;
b. un niveau de compétence adéquat des usagers (professeurs et étudiants) ;
c. la capacité de solliciter et de soutenir des changements de pratiques chez les professeurs ;
d. la motivation des enseignants à s’engager dans des projets novateurs misant sur les TIC ;
e. la prise en compte des aspects sociaux et éthiques des projets.

Note concernant les niveaux d’intégration des TICE : « Le premier niveau correspond à une utilisation des TIC en classe ou en laboratoire uniquement. Le deuxième niveau correspond à la poursuite des activités en dehors des locaux et des heures de cours. Le troisième niveau correspond à la situation où les élèves font, en dehors des heures et des locaux de cours, des activités complémentaires et d’enrichissement. Le quatrième niveau est celui où la plupart des activités d’apprentissage se réalisent en dehors des heures et des locaux de cours. Le cinquième niveau est celui de la formation entièrement à distance. » (Barrette 2005, p. 6)

Ce tableau représente donc un modèle opérationnel pouvant guider les professeurs qui souhaitent utiliser les TICE et ce de manière la plus efficace possible. Dans la troisième étape de sa recherche, Barrette a construit une grille d’analyse servant à produire des scénarios pédagogiques appropriés. (Voir en document annexé Barrette 2000a grille.pdf).

 

b) Deuxième étape : la validation du modèle par des experts

À partir de l’année 2006, une nouvelle phase de la métarecherche est mise en branle : il s’agit maintenant de déterminer le degré de solidité du modèle en le confrontant au savoir des experts. Quatre personnes aux compétences reconnues et revenant chacune sur une expérience d’au moins 10 années de vie professionnelle devaient répondre à la question suivante : « Quels sont les principaux déterminants et les principales conditions dont il faut tenir compte pour faire en sorte que l’impact de l’usage pédagogique des TIC soit positif ? » (Barrette 2011a, p. 7) Les réponses des experts ont servi à former des cartes conceptuelles et CHristian Barrette se dit heureux de constater qu’il y congruence entre la recherche empirique et le savoir de ces professionnels, c’est-à-dire « aucun des énoncés des personnes expertes ne contredit les observations issues de la métasynthèse, ce qui en affermit la fiabilité » (Barrette 2011a, p. 7)

 

c) Troisième étape : la confection d’une grille d’analyse

Dans Barrette (2008, p. 1), le chercheur s’est posé la question de savoir comment son modèle heuristique, validé par les experts, pouvait devenir un outil pratique à l’intention des enseignants et des conseillers pédagogiques.

 

En collaboration avec des conseillers pédagogiques membres du réseau des personnes répondantes dans les collèges (REPTIC), dès l’année suivante a été produite une « grille d’analyse du scénario d’une activité pédagogique misant sur les TIC pour améliorer son efficacité » (Barrette 2009a). L’enseignant est invité à répondre à plusieurs questions qui lui permettront de déterminer à l’avance le degré de réussite probable de son usage des technologies. Dans Barrette (2009b), en se basant sur les travaux en pédagogie de Marcel Lebrun (2004), le chercheur décrit trois rôles différents, ce qui permet aux enseignants de préciser leur posture pédagogique. Dans cette grille, on retrouve les principes fondamentaux de 3 grandes approches – le béhaviorisme, le constructivisme (Piaget) et le socioconstructivisme (Vygotsky) – et comment se définissent dans chacune d’elles des rôles différents à la fois pour les professeurs et pour les élèves. Ces deux documents (Barrette 2009a et 2009b) seront à coup sûr des outils très utiles pour ceux qui désirent réfléchir sur un renouveau de leur pratique d’enseignement.

 

Christian Barrette a poursuivi sa réflexion sur l’importance d’établir un bon scénario pédagogique pour que réussisse l’intégration des TICE. Récemment, il a déclaré : « il ne suffit pas d’ajouter des TIC ici et là pour que le résultat soit un enseignement ou un apprentissage amélioré. Il est même possible de mal faire les choses et d’engendrer soit un effet mitigé, soit un effet négatif. Des conditions sont requises pour que l’addition des TIC au répertoire des médias et des méthodes apporte un bonus aux actes d’enseigner et d’apprendre » (Barrette 2010, p. 4).

 

Voilà pourquoi la grille d’analyse devant servir aux professeurs se révèle d’une si grande importance. Or, cette grille a fait l’objet d’une actualisation très récente (Barrette 2011b) grâce à une collaboration toujours en cours avec des conseillers pédagogiques et des experts. Ce document semble être devenu un outil de réflexion incontournable.

 

De toute évidence, Christian Barrette a réalisé une recherche très rigoureuse sur l’impact des TICE dans l’enseignement collégial. S’il est vrai qu’un lien causal ne saurait être établi entre l’usage des nouvelles technologies et une hausse du taux de réussite, le chercheur a mis au point, de manière empirique et vérifiable, une grille qui permet de prévoir quels scénarios pédagogiques ont le plus de chance d’avoir un effet positif sur l’apprentissage. Christian Barrette s’est engagé à fond et de manière exemplaire dans « l’aventure de la recherche ». Il conclut magnifiquement : « chaque réponse fait naître de nouvelles questions et […] on progresse en sachant autant formuler la meilleure question qu’utiliser une bonne méthode pour y répondre » (Barrette 2011a, p. 5)

 

5) La pédagogie d’inspiration socioconstructiviste

Dans un article souvent cité, portant sur le rapport entre les TICE et la motivation des élèves, Rolland Viau (2005) a effectué une analyse de 70 écrits scientifiques sur cette question. Il conclut : « En général, les études démontrent que l’utilisation des TIC suscite un intérêt spontané chez un grand nombre d’élèves. » (Viau 2005, p. 2) Cependant, il apporte une réserve qu’il faut prendre en considération : « un grand nombre de chercheurs pensent qu’un élève est motivé à apprendre s’il démontre de l’intérêt et du plaisir à accomplir une activité d’apprentissage. Certes, l’intérêt et le plaisir sont des indicateurs de motivation, mais sont-ils les seuls et, surtout, sont-ils les plus importants à considérer dans un contexte d’apprentissage ? Les recherches contemporaines sur la motivation à apprendre nous montrent qu’il existe des indicateurs plus importants à considérer tels que l’engagement cognitif de l’élève et la persévérance » (Viau 2005, p. 2). De ce point de vue, l’usage des TICE n’a pas de lien direct avec la motivation. Une autre conclusion qui ressort de ce rapport préconise une affirmation du primat de la réflexion pédagogique : « Ce qui est important à comprendre, c’est que, pour que les élèves soient motivés à apprendre à l’aide des TIC, il existe des conditions d’ordre pédagogique à remplir qui ne dépendent pas directement des TIC. » (Viau 2005, p. 3)

 

Rolland Viau apporte une intéressante précision sur ces conditions : « Il faut que ce dernier [l’élève] soit constamment invité à faire des choix et avoir  » son mot à dire  » dans sa façon d’apprendre. De plus, il faut qu’il reçoive des encouragements appropriés et des commentaires judicieux sur les actions qu’il pose et sur sa démarche d’apprentissage. Il faut également qu’il puisse faire des erreurs, sans pour autant être critiqué. Enfin, il faut que l’environnement soit convivial et attirant sans pour autant être à l’image des jeux-vidéos. » (Viau 2005, p. 6)

 

Or, parmi les postures éducatives décrites par Barrette et ses collaborateurs (2011a, p. 3), les méthodes d’inspiration socioconstructiviste accordent un grand rôle à l’interaction entre les élèves par le travail en petites équipes où ceux-ci « définissent à la fois la stratégie et les ressources requises pour atteindre les buts fixés » (id.). D’un apprentissage passif basé sur l’écoute, on passe à un apprentissage actif et collaboratif par résolution de problèmes (active learning) où le professeur cesse de se définir comme didacticien pour devenir un accompagnateur dans la construction des connaissances.

 

Ces idées peuvent apparaître abstraites, voire utopiques, mais, dans la réalité des faits, cette nouvelle méthode d’apprentissage actif et collaboratif (active learning) a fait l’objet de nombreuses expériences aux États-Unis (voir le site SCALE-UP sur le Web et Beichner 2007). Depuis quelque temps, des adaptations de l’expérience américaine ont cours à l’université McGill (voir le site Active Learning Classrooms at McGill sur le Web) et au collège Dawson (voir SmartLab Project et Charles 2010).

 

Le 18 mars dernier, à l’Hotel Sandman de Longueuil, s’est tenu un colloque sur ces projets et, parmi les conférenciers, Robert Beichner, professeur de physique à la North Carolina State University et principal animateur de SCALE-UP, a expliqué aux participants l’intérêt de cette nouvelle stratégie pédagogique. Dans le réseau collégial francophone, Raymond Cantin (2010a et 2010b) s’est révélé le principal promoteur de cette méthode sous le nom de « salle de classe du 21e siècle ».

 

Par delà la question de l’aménagement très particulier des locaux – qui nécessite des investissements considérables – la place qu’occupe les TICE et le fait que les expériences en cours concernent pour la plupart des cours de sciences de la nature, l’intérêt de cette pédagogie nouvelle réside dans le fait qu’elle réalise en pratique cet apprentissage par les pairs grâce à des problèmes devant être solutionnés par des travaux en équipe. De manière mesurable, une enquête scientifique rigoureuse auprès de 16, 000 étudiants américains a démontré que l’active learning a fait chuté considérablement les taux d’échecs pour les étudiants en condition expérimentale comparés à ceux, en condition de contrôle, qui suivaient le même cours selon les méthodes traditionnelles. (voir Cantin 2010a, p. 4-5 et Cantin 2010b, p. 17 et 19)

 

Ces données quantitatives font réfléchir : si elles démontrent effectivement que les élèves apprennent mieux dans un environnement collaboratif, il y a là un principe pédagogique qui devrait occuper une position centrale dans les débats concernant l’usage des TICE.

 

6) Conclusions

a) Quel est l’impact de l’usage des TICE au collégial ? Si l’on adopte exclusivement le critère de la hausse des taux de réussite, la recherche fondée sur des données quantitatives, effectuée dans les 7 dernières années, n’a pas établi un lien de causalité entre TICE et hausse des notes au bulletin.

b) Les chercheurs en pédagogie s’entendent généralement pour dire que ce sont les stratégies pédagogiques qui devraient retenir l’attention quand il est question de l’usage des TICE. Le véritable problème consiste à déterminer quelles sont les conditions d’une intégration réussie des nouvelles technologies, le concept de réussite comportant plusieurs dimensions.

c) La réflexion sur les nouvelles méthodes d’inspiration socioconstructiviste ou d’apprentissage actif et collaboratif (active learning) semblent produire des résultats spectaculaires sur la réussite et la motivation, et, pour cette raison, elles méritent de faire l’objet d’une large débat dans la communauté collégiale.

d) Il faut éviter, en ce qui concerne les enseignants déjà acquis à l’usage des TICE et fort enthousiastes, qu’ils deviennent technocentristes, c’est-à dire « des personnes qui peuvent difficilement s’empêcher de conclure que les TIC sont le  » remède  » à la majorité des maux que connaît l’école de nos jours » (Viau 2005, p. 3).

e) Compte tenu de l’environnement numérique dans lequel les élèves évoluent, la problématique de l’usage pertinent des TICE devra sans cesse faire l’objet de recherches, de discussions, de réflexions et les expériences novatrices devraient être soutenues par le collège. Le constat du CEFRIO doit interpeller la communauté collégiale : « Les TIC sont omniprésentes dans la vie des élèves et des étudiants du Québec : ceux-ci s’en servent continuellement pour se divertir, pour communiquer avec leurs amis ou pour faire leurs devoirs. En fait, les TIC sont partout… sauf dans les salles de classe ! » (CEFRIO 2011, p. 6)

En terminant, je désire remercier les personnes suivantes pour le soutien que j’ai reçu dans la réalisation de ce projet pédagogique : Jean Proux et Jean Des Lauriers de la DASPR, Danièle Baillargeon de la bibliothèque et Chantal Desrosiers du CSTP.

Guy Béliveau
Département de philosophie
20 juin 2011


Bibliographie

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Comments

  1. Ping : Veille Antic
  2. Je souhaiterais soumettre cette étude à la publication sur Educavox.fr, (partiellement avec accès au dossier en ligne) elle me semble importante à mutualiser …
    Merci à vous pour cette étude!

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